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La longue marche de l’esport vers les Jeux Olympiques

11 septembre 2018 - 

Pour que l’esport ait une chance d’avoir, dans un avenir, l’opportunité d’être inscrit dans les disciplines reconnues par le Comité International Olympique (CIO), ou que naisse une compétition labélisée JO (des « JO Esports »), il fallait déjà que ces deux mondes prennent langue.

Lors du Forum Esports, le CIO et la GAISF, l’association internationale réunissant toutes les fédérations internationales sportives, avaient convié plus de 150 représentants de l’industrie du jeu vidéo compétitif – joueurs, éditeurs, équipes, sponsors et organisateurs de tournois à Lausanne le 21 juillet. Une première rencontre au sommet pour « faire émerger des idées », comme l’a souligné le président de l’instance olympique, Thomas Bach.

Le dialogue est dorénavant établi mais le plus dur reste à faire. « Chaque long voyage démarre par un premier pas et nous venons de le faire », s’est ainsi réjoui M. Bach. Le chemin reste encore bien long. Un doigt de pied a été glissé dans la porte de l’institution, presque bicentenaire.

Celle-ci prend dorénavant conscience de l’ampleur du phénomène, mais calquer le modèle du sport traditionnel à l’esport paraît encore bien compliqué.

première rencontre au sommet

Avant de se décider, le président du CIO l’avait promis le 28 octobre dernier : il fallait créer un langage commun pour se comprendre.

Conscient de l’intérêt des jeunes générations pour les compétitions esport dans le monde, le CIO y voit un moyen de rajeunir ses audiences. Le Forum eSports, fort de sa diversité et de sa richesse en termes d’interventions, a permis à chacun d’exposer ses valeurs et ses spécificités.

Surtout, les acteurs des sports traditionnels ont découvert des joueurs professionnels aux motivations très proches de celles des athlètes : la passion et la volonté de se dépasser. Comme l’a précisé le président de la Korea eSports Association (KeSPA), Kim Cheolhag, « l’esport met en jeu le corps et l’esprit », reprenant de fait les valeurs fondatrices de l’Olympisme. Et il sait de quoi il parle : en Corée du Sud, cela fait maintenant 20 ans que l’esport s’est épanoui, passant du stade de jeu à celui de spectacle familial.

une vision jeu par jeu

« Nous devons créer un écosystème et non un egosystème », ont convenu les éditeurs présents (Blizzard, Riot, Epic Games, Electronic Arts), venus détailler les spécificités de leur industrie aux caciques du CIO.

Car contrairement aux sports traditionnels gérés par les fédérations locales, nationales et internationales réunies dans la GAISF, le terrain de jeu de l’esport appartient aux studios de jeu. Cette singularité détermine le nerf de la guerre : la propriété intellectuelle (IP) et, par ricochet, les revenus de droits de diffusion (TV notamment) qui lui reviennent.

Dans les sports traditionnels, le CIO gère la vente des droits audiovisuels. Une grande part de ces revenus est ensuite redistribuée aux fédérations nationales de chaque discipline. Cela permet d’irriguer tout le tissu sportif, des ligues professionnelles aux amateurs.

Dans l’esport, des fédérations nationales commencent à se créer à l’instar de France Esports. Mais, l’industrie des compétitions d’esport s’est bâtie inversement à celle des sports traditionnels. Si toutes deux s’appuient sur le sportif, un point faible que doit prendre à bras le corps l’esport est le manque de structuration du milieu amateur. Celui-ci demeure encore flou et volatile.

Les sports traditionnels ont une base d’amateurs importante, les athlètes de haut niveau constituant le sommet d’un triangle. L’esport s’est composé, à l’inverse : les joueurs professionnels sont réunis dans des ligues organisées par les éditeurs, en direct ou en franchise. Il n’est pas simple dans ce cas d’unifier ce milieu : chaque éditeur ayant pour objectif de faire grossir la communauté autour de son jeu.

« L’une des leçons majeures que nous avons apprise, grâce à ce Forum, est que trouver les partenaires idoines dans l’industrie de l’esport ne va pas être aussi simple que nous le pensions. En écoutant leur vision, nous avons pris conscience qu’ils résonnent vraiment jeu par jeu, et n’envisagent pas le développement de l’esport comme celui d’une industrie compacte, homogène », a convenu Thomas Bach. « Si l’on essaie d’avoir une vision verticale, elle n’est pas encore claire à 100%. J’espère que nous arriverons à bâtir un projet pilote », a-t-il ajouté.

1+1=3

Pourquoi l’industrie esport, en pleine expansion, souhaite-t-elle être adoubée par le mouvement olympique ?

Actuellement, l’esport revendique près de 380 millions de spectateurs online dans le monde. Et, comme l’a souligné Mick Morhaime, le CEO de Blizzard, il n’est pas un épiphénomène, ni une mode passagère : « Toute personne qui grandit en pratiquant ou en regardant un sport traditionnel sait qu’elle conservera cet intérêt toute sa vie. Nous en sommes juste au début du développement de l’esport. Notre vision est de réunir tout le monde devant un divertissement sportif et sain, je pense que c’est aussi ce que souhaite le mouvement olympique ».

Avoir une reconnaissance du milieu olympique fait partie des espoirs, notamment des éditeurs. « Nous travaillons afin que les pouvoirs publics s’intéressent à l’esport afin qu’il puisse être régulé et que des obstacles soient levés pour les joueurs dans leurs déplacements à l’étranger. Devenir une discipline olympique permettra de légitimer l’esport dans le monde entier », a souligné Nicolo Laurent de Riot Games.

Malgré tout, il ne faut pas se leurrer, ni les JO, ni l’industrie de l’esport n’ont structurellement besoin de l’un de l’autre. Il serait tout de même dommage que les Jeux Olympiques, qui regroupent les athlètes du monde entier dans les stades, et l’esport, qui captive des millions de viewers de tous pays, ne trouvent pas une voie de convergence, à l’image des Jeux Paralympiques dont les règles diffèrent des JO.

quid d’un jeu esport créé pour et par les jo ?

Depuis 1992, l’International Sports Multimedias développe, en partenariat avec le CIO et sous forme de franchise, des jeux vidéo en miroir des sports traditionnels des JO.

Paradoxalement, alors que la NBA et même le tournoi de Roland Garros ont mis un pied dans l’esport, cette franchise n’a pas encore intégré l’esport dans son développement. Un retard à l’allumage qui aurait pu lui faire perdre toute crédibilité face à ses concurrents.

La première étape, un partenariat entre le CIO, Nintendo et Sega via ISM, a été franchie en 2007. La prochaine doit être réalisée par le CIO comme l’a martelé Thomas Bach : « L’esport ne peut avoir des JO sans nous. L’industrie de l’esport a une forte expérience sur les questions de propriété intellectuelle. En cas d’esport dans les JO, nous devons en être les garants. Nous n’allons pas inclure une discipline qui génèrerait des revenus pour des entreprises privées. Cela ne peut pas être le futur de l’esport à nos côtés. Nous appartenons à des mondes différents : l’un est une industrie et son but reste de générer de l’argent. Le second s’appuie sur une association. Les objectifs sont totalement différents ».

Afin d’évacuer les questions de gestion de propriété intellectuelle, créer un « esport » labellisé JO pourrait être une des voies du futur, à condition que ce jeu trouve son public et le soutien des communautés esport.

« Cela n’aurait aucun sens si nous créons quelque chose qui n’ait aucun écho. C’est pour cela que nous devons encore discuter, car avec tout le respect que je lui porte, le monde de l’esport reste encore très étrange pour nous. Nous ne savons pas ce que pense son public et ce qu’il veut » a tempéré le président du CIO.

« la ligne rouge », une frontière non négociable pour le cio

Si la tendance naturelle est un rapprochement des fédérations de sports traditionnelles vers des communautés esports pratiquant des jeux tels que le ski, la voile, le football, le tennis, etc. Qu’en est-il de jeux qui n’existent pas dans la pratique réelle tels que LOL et Dota 2, voire pour des jeux de tirs façon CS : GO ?

Pour le CIO, il existe des lignes rouges très claires et non négociables : la glorification de la violence et la discrimination.

« Celles-ci sont très simples à définir. Si elles diffèrent selon les jeux, quoiqu’il en soit la première ligne rouge est le sang. Nous n’avons pas de problème avec un jeu où l’on tire sur des cibles artificielles, mais quand on tire sur un avatar humain ou animal, il atteint la frontière acceptable », a rappelé Thomas Bach.

Si le tir ou la boxe, sports violents par nature sont des disciplines olympiques, pour le président, la comparaison n’a pas lieu d’être : « C’est très différent. En boxe, par exemple, deux adversaires acceptent les mêmes règles. Ils sont sur un pied d’égalité, ils ont pris la décision de canaliser leur violence selon des règles civilisées. Il y a une grande différence, dans le cas des jeux [tels que Dota ou CS : GO] où un personnage est tué, c’est une glorification de la violence ».

Pour le CIO, l’aspect virtuel, s’il entre en compte, n’est pas une raison. « La glorification de la violence, même par la parole, nous a montré dans l’histoire le danger. Toute forme de promotion, même virtuelle de la violence, peut arriver dans la réalité. Il est nécessaire d’avoir un esprit solide et une certaine culture pour faire la différence entre réalité et virtuel, mais les joueurs, le public a-t-il cette capacité de discernement ? Nous devons prendre cette décision en notre âme et conscience », a ajouté le président du CIO.

l’esport inscrit au calendrier du cio

Il faut prendre son temps. C’est le leitmotiv sur lequel s’accordent tous les participants du CIO ou du monde de l’esport. Ne surtout pas aller trop vite, car les risques d’écorner l’éthique de l’esport sont encore plus grands que dans les sports traditionnels.

Dans les prochaines semaines va être mis en place un groupe de travail au sein de l’organe olympique. « Ce sont les fédérations internationales qui vont prendre cette initiative », a ainsi détaillé Thomas Bach. Dès les Jeux Olympiques de la jeunesse (du 6 au 8 octobre à Buenos Aires, Argentine), de nouveaux échanges sont prévus. « Les 4 et 5 novembre, les 95 fédérations internationales de la GAISF se retrouveront à Lausanne et aborderont aussi la question de l’esport. Puis, à Tokyo, aura lieu la réunion des 206 comités olympiques, réunis dans l’ANCO. Lors de sa XXIIIe assemblée générale, les 28 et 29 novembre, l’esport sera à l’ordre du jour, tout comme lors du prochain sommet olympique, en décembre à Lausanne », a précisé Patrick Baumann, président de la GAISF.

La composition du groupe de travail n’est pas encore définie. Si certaines fédérations sportives (football, tennis, sport automobile, etc.) ont déjà un pied dans l’esport, d’autres ne s’y intéressent pas encore. Le fait est que « même si ce milieu est encore étrange pour nous », comme a convenu le président du CIO, chacun a fait l’effort d’expliquer ses positions.

Le but est de ne plus refermer la porte à ce phénomène qui s’installe et revendique 680 millions de spectateurs dans le monde en 2017. « Nous souhaitons conserver ce pont entre les mondes du sport et de l’esport, afin de pouvoir travailler de concert », a souligné Patrick Baumann, convenant que dorénavant il fallait compter sur l’esport.

Si rien n’est moins sûr pour Paris 2024, sauf peut-être comme sport de démonstration, les JO 2028 seraient tout indiqués. Annoncés comme plus digitaux, il serait logique que ces JO s’appuient aussi sur la présence des principaux éditeurs à Los Angeles.

En attendant, pourquoi ne pas mettre en place des qualifications en ligne aux épreuves des disciplines traditionnelles, grâce aux avancées de la réalité virtuelle, le parfait trait d’union entre sport et esport ? « Une partie de l’industrie de l’esport voit, en effet, son développement dans la réalité virtuelle. Nous serions alors actuellement dans une phase de transition. L’esport en VR serait encore plus proche de notre perception du sport traditionnel », a convenu le président du CIO.

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