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Les constructeurs automobiles mettent le turbo dans l’esport

10 février 2019 - 

Si la publicité TV reste extrêmement importante pour les constructeurs automobiles, ces groupes cherchent tous aujourd’hui à séduire un public qui délaisse la petite lucarne. Selon une étude de Médiamétrie réalisée dans 95 pays, les 15-25 ans consacrent moins de deux heures par jour à la TV, une heure de moins que leurs aînés. Se connecter à eux est une urgence pour les marques.

Avec un chiffre d’affaires mondial estimé à 960 millions de dollars en 2018 et une audience planétaire de 385 millions, les jeux vidéo compétitifs ont tapé dans le rétroviseur des constructeurs automobiles.

Audi, Renault, BMW, Mercedes-Benz… Depuis deux ans, les marques automobiles passent la seconde et investissent massivement dans l’esport. S’ils empruntent ce chemin sans caler, ils ont tout à y gagner. Partenariat d’éditeurs et de tournois, sponsoring d’équipes, des pistes variées se dessinent.

LES STRATéGIES DES CONSTRUCTEURS ALLEMANDS

S’ALLIER à UN éDITEUR OU à UN TOURNOI MAJEUR

Éditeur de League of Legends (LOL), l’Américain Riot Games a signé en 2017 un partenariat ponctuel avec la marque allemande BMW.

Lors de la finale des championnats européens (League of Legends Championship Series européennes, LCS UE) qui s’est déroulée à l’AccorHotels Arena (Bercy), la marque a pu bénéficier d’une forte visibilité. Devant les milliers de fans présents, les voitures étaient exposées sur scène et servaient aussi pour transporter les esportifs. Ce type de partenariat est assez rare avec l’éditeur Riot, plus enclin à signer des contrats sur le long terme.

L’autre moyen est de se servir de l’esport comme vitrine et de doter un tournoi. Ainsi, BMW offre au vainqueur du Championnat esport Moto GP, un modèle.

Autre marque allemande, Mercedes-Benz a aussi mis le turbo depuis 2017 sur ce secteur majoritairement suivi par une cible rêvée : jeune, masculine et au pouvoir d’achat croissant. Ceci en parrainant la compétition ESL One, un tournoi rassemblant les meilleurs joueurs professionnels du jeu DOTA 2 (IceFrog) à Hambourg en Allemagne, puis à Katowice en Pologne.

Mercedes-Benz: eSports

La prime empochée par l’équipe gagnante était d’un million de dollars. De son côté, le constructeur automobile a récompensé le meilleur joueur de la saison sur DOTA 2, un gamer élu par un jury et le public. Celui-ci est reparti avec une Mercedes-Benz d’une valeur de 50 000 euros.

D’ailleurs, le sponsoring entre ESL et la marque est allé plus loin que celui de son concurrent BMW. Si près de 10 000 spectateurs ont pu voir les véhicules sur scène pendant un show, le tournoi a aussi fait l’objet de plus de 57 heures de diffusion. Plus 10 millions de viewers l’ont visionné, selon l’agence Esports Charts. Gageons que la Mercedes A trônant sur le plateau, avant la compétition, aura eu une exposition digne d’une publicité TV.

La marque a été maligne, diffusant au public enthousiaste de Katowice une publicité détricotant les a priori véhiculés par le jeu vidéo, l’esport et les confrontant à l’énergie positive du tournoi international sur DOTA 2.

SOUTENIR UNE éQUIPE éTABLIE

L’une des premières marques automobiles présente dans l’esport en soutenant une équipe est l’Allemande Audi. Elle s’est offert un partenariat avec la Team danoise Astralis. Cela a permis à Audi de gagner en visibilité lors du tournoi de l’Eleague Major à Atlanta.

Le constructeur a choisi de sponsoriser cette équipe jouant sur un jeu de tir extrêmement célèbre, Counter-Strike : Go. Un pari gagnant de la part de la marque puisque grâce aux fans des progamers, Audi aurait gagné près de 463 000 followers. Pas loin de 25 millions de personnes sur les réseaux sociaux et 12 millions de vues ont été comptabilisées lors de ce tournoi en 2017.

Campagne Audi #untaggable // L’équipe Astralis

En février 2018, Renault décide de s’associer à la Team Vitality. Le groupe industriel est à la croisée des chemins comme nous l’a expliqué son directeur du marketing et des marques, Bastien Schupp. Plusieurs raisons ont poussé Renault à entrer dans l’esport.

Le groupe prévoit de sortir de la Formule E, une discipline qui touchait une cible plus jeune que celle de la Formule 1. « Nous cherchions comment conforter cette audience et nous regardions aussi comment allait évoluer le sport automobile. L’esport est une discipline naissante et grandissante. C’était un univers assez naturel vers lequel nous voulions nous orienter », détaille Bastien Schupp.

Différentes voies s’offraient alors à Renault, via sa filiale Renault Sport, dont celle de créer sa propre équipe. « Mais le milieu nous paraissait tellement loin et étrange par rapport à notre univers traditionnel de l’automobile », reprend-il. Il comprend alors rapidement que l’audience ciblée est en quête de crédibilité et d’authenticité. « Nous lancer en tant que grande marque dans ce domaine présentait beaucoup de danger. L’esport est un univers parallèle. Même si j’aime les jeux vidéo, l’univers que je découvre à travers Team Vitality est surréaliste », sourit Fabien Schupp. Pour comprendre et ressentir l’ambiance, il a assisté à un tournoi, découvrant avec étonnement un public entre 25-35 ans, plus proche de celui d’un stade de football, bien loin de celui imaginé par ce dirigeant.

Renault examine le marché et recherche un partenaire adéquat afin « d’apprendre ensemble ». Il se tourne vers une structure française, Team Vitality. Vitality compte déjà Adidas, Volvic (Danone), HP et même Orange depuis peu. Elle est habituée à discuter avec des « grands comptes ».

La structure esport et Renault bâtissent leur partenariat après de longues discussions. « Nous voulions comprendre leur problématique, pourquoi ils s’intéressaient à l’esport », explique Xavier Oswald, directeur du marketing et de la stratégie de Vitality. « Le motorsport était une évidence, mais nous trouvions que ce serait dommage de ne se cantonner qu’à des activations sur la Formule 1 alors qu’il existe de nombreux jeux permettant de toucher un plus large public », reprend-il.

Ils décident de créer une équipe commune jouant sur Rocket League. Ce jeu très visuel, facile à comprendre, permet de rester
dans l’univers du racing tout en étendant la cible.

« Sur les maillots des équipes de la Team Vitality est maintenant apposé le logo Renault et en parallèle nous avons une structure commune », détaille Xavier Oswald. L’équipe de F1 esport Series vient d’être recrutée et celle de Rocket League est vice-championne du monde.

« La Formule 1 est un moyen de communiquer notre passion et notre savoir-faire high-tech. Le professionnalisme de Team Vitality et le fait qu’ils soient français nous ont paru un bon atout et une excellente complémentarité », ajoute Bastien Schupp.

Renault apporte son aide et son expertise en sport de très haut niveau, via ses centres et ses méthodes d’entraînement en pointe. « Nos joueurs sont présents sur des grands prix de F1. Ils sont allés au centre d’entraînement de Renault à Enstone (Grande-Bretagne) et ont rencontré des pilotes de F1 », ajoute Xavier Oswald. Le constructeur automobile a permis à ces joueurs professionnels d’avoir accès à une préparation physique digne de celles de ses pilotes de F1.

FABRICE ROCHE ET GUILLAUME VERGNAS : LES COMPÉTENCES D'UN PRO ...

« Ce qui est incroyable est que la marque Vitality était présente sur les F1 Renault pendant deux grands prix », se réjouit le directeur du marketing et de la stratégie de Vitality.

« Nous leur apportons notre expérience en termes de communication de grand groupe mondial doté d’une assise internationale. Inversement, les joueurs travaillent sur les simulateurs de F1 de Renault. Ils nous aident à comprendre la communication vers un milieu beaucoup plus jeune, emprunt d’authenticité, dont les codes de communication sont extrêmement différents, plus subtils », souligne le directeur du marketing et des marques du constructeur automobile.

« On découvre un univers insoupçonnable pour nos secteurs corporate. Nous nous serions vraiment pris les pieds dans le tapis si nous étions entrés seuls dans l’esport. La coopération avec Team Vitality est un partenariat bénéfique », ajoute Fabien Schupp, étonné par l’ampleur pris par ce sponsoring. « Ce qui a débuté comme une petite opportunité naissante commence à devenir une grosse industrie». « Nous avons des performances sur les réseaux sociaux qui permettent de rendre Renault extrêmement visible ne serait-ce que sur Twitch, sur une cible totalement différente de celle de la F1 », ajoute Xavier Oswald.

Un constat que partage Fabien Schupp : « Quand on invite GotaGa au Grand Prix de Monaco et qu’il tweete que c’est le plus beau jour de sa vie, le nombre de vues est bien supérieur à celui que nous avons en tant qu’entreprise mondiale. La popularité, le nombre de followers de ces gamers, est phénoménale », se réjouit le responsable de Renault. « Si nous collions des logos Renault partout et tournions un film classique avec Gotaga vantant une Renault Megane, cela serait une erreur.

« Actuellement, nous sommes dans une phase d’apprentissage sur cet univers. Nous réfléchissons à comment on peut s’engager plus avant dans l’esport », ajoute Fabien Schupp. Le partenariat court sur deux ans : « Notre priorité reste la F1, nous voulons nous engager sans toutefois mettre une enveloppe du montant de la FE ou de la F1», conclut-il.

ENTRAîNER LES PRO-GAMERS DE DEMAIN

LA JEAN ALESI ESPORT ACADEMY

« Motivé par de nombreuses discussions avec son fils Giuliano, ainsi que par des initiatives comme celle de Fernando Alonso avec l’équipe
G2 en Espagne, Jean Alesi s’est naturellement intéressé à l’esport », explique Antoine Gourlay, DG de Jungle Natives, l’agence qui a accompagné l’ancien pilote de Formule 1 dans la création de la Jean Alesi Esports Academy.

Cette académie esport prend pour modèles les académies existantes en F1, dont les deux plus connues sont la Ferrari Driver Academy (dont le fils de Jean Alesi, Giuliano, fait partie) et celle de Red Bull, la Red Bull Junior Team.

« Pour Red Bull la ligne directrice est claire : ils forment des pilotes qui, s’ils sont bons, passent en F1 chez Toro Rosso, écurie B de Rell Bull puis, quand ils sont assez performants, concourent dans l’écurie Red Bull. Chez Ferrari, une académie prépare aussi des jeunes pilotes et s’implique aussi dans leur carrière », reprend-il.

L’ancien pilote de F1 voulait monter une structure similaire appliquée au sim racing (NDLR : SIMulation + RACING) en recrutant des jeunes joueurs de Formula 1, Gran Turismo, Forza, etc.

Il désirerait aussi les faire bénéficier des bonnes pratiques du monde automobile. Dans la Jean Alesi Academy seront organisés à plusieurs reprises des événements où les gamers iront sur des circuits dans des vraies voitures de course. Les jeunes esportifs seront soumis aux mêmes entraînements que des pilotes de F1, comme des cours sur les stratégies et réglages des voitures, des conseils de Jean Alesi sur les trajectoires etc… Ils seront mis dans les mêmes conditions qu’un pilote de course.

« La vocation de l’académie n’est pas de les faire ensuite passer dans le réel, ces interactions sont principalement destinées à renforcer leurs performances dans le virtuel », ajoute Antoine Gourlay.

D’autres coureurs automobiles se dirigent vers l’esport, soit dans une optique de reconversion ou en prévision de leur retraite.

Les constructeurs automobiles ont d’ores et déjà répondu largement présents pour s’associer au développement de l’esport.
Une tendance à suivre de près dans les années à venir.

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